荒读 | Humus, terre « fertile et gluante »

Humus, couronné par les prix littéraires Interallié et Jean Giono, a été publié en 2023, suscitant de nouvelles polémiques sur les enjeux écologique, agricole et enfin politique. Son auteur, écrivain français contemporain Gaspard Koenig, a organisé une association de conseils intitulée « Generation Libre » en 2013 et y est devenu président. Il a aussi déclenché le mouvement politique « Simple » visant à réduire le nombre des critères de la législation et de la surveillance. Donc, il est libéral dans la mesure où il mène ses décisions et ses actions.

Gaspard Koenig

En revanche, le roman, quant à lui, ne représente pas qu’une seule vision. Les deux protagonistes fictionnels, Kevin et Arthur, prennent deux chemins tout différents après leurs études sur l’agriculture : Kevin commence à commercialiser les lombrics qui transforment les déchets en tas d’humus, alors qu’Arthur essaient de réaliser son idée écologique à l’aide d’une autre espèce de lombric dans les champs. Tous les deux ont leurs propres difficultés. Kevin est issu d’une famille « ouvrière » qui le souhaite devenir médecin ou avocat, et en co-gérant une entreprise avec sa copine, il marche dans un chemin vers son fiasco à la fois financier et existentiel : il a été « trouvé coupable de l’opération financière illégale » car il est le bouc émissaire. Arthur vient d’une famille bourgeoise mais il a choisi de lutter, en établissant une armée clandestine, contre « les entreprises et le gouvernement capitalistes » qui font mal à l’environnement tout en prétendant le protéger. Quand son armée rencontre les gendarmes puis s’effondre, Arthur retrouve Kevin qui sort de la prison. Enfin en avalant le poison, le rebelle se suicide dans les bras du prétendu criminel financier après une brève conversation.

Humus, Gaspard Koenig, 

Les Editions de l’Observatoire, 2023

Nous pouvons comprendre dès que nous avons fini la lecture, que le roman présente deux visions doublées : une vision « ouvrière » qui regarde l’hypocrite capitalisme moderne, soit celle d’Arthur, et l’autre des petits bourgeois qui regardent les fermiers conservateurs extrémistes, celle de Kevin, bien sûr. Mais les deux visions ne se croisent pas, parce qu’aucun des protagonistes ne représente les intérêts des grandes agglomérations et des autorités. Ils sont tous d’une même couche sociale dès qu’ils sont sortis de leur propre famille. Dans ce cas, les deux chemins empruntés par eux ne sont que deux tentatives destinées à échouer. Le capitalisme monopolisé se renforce par les rebelles et leurs actions « illégales » car la stabilité est une illusion sociale qui n’existe que dans l’instabilité. Ainsi, le pouvoir peut dire de la « protection » et de la « gestion » tout en définissant l’illégitimité et l’illégalité.

Sérotonine, Michel Houllebecq, 

Edition Flammarion, 2019

Lisons la Sérotonine de Michel Houellebecq, surtout les chapitres où Aymeric s’est donné la mort par le canon. Dans le roman, Aymeric est un éleveur en Normandie (si je ne me trompe pas), angoissé par les nouvelles politiques de l’UE sur les quotas des produits laitiers. Il va perdre sa part du marché laitier par ses concurrents en Irlande ou d’autres pays. Donc il lutte avec ses compagnons contre les politiques, il mitraille en vain les gendarmes bien équipés et son espoir de son image du futur périt, puis il tourne le canon vers son menton et appuie sur la détente. Aymeric et Arthur partage d’une certaine manière le même esprit bien qu’ils viennent de différentes couches sociales. Le symptôme d’une telle société capitaliste consiste en la difficulté de la distribution des produits, des matériaux et des profits, mais la solution éventuelle ne cible jamais la recalibration des différences, qui n’est pas curative parce qu’elle rêve un recommencement.

Si nous sortons des cadres narratifs, nous verrons au moins un fait : Koenig, quoi qu’il veuille en vrai, réussit à retirer l’attention des lecteurs aux enjeux écologiques. Depuis des années nous témoignent plusieurs événements nuisibles à l’environnement. Ne parlons plus de Trump. Mais deux autres aspects surgissent : les écologistes peuvent aussi être extrémistes, prenons l’exemple des jeunes qui ont failli abîmer du Monet ; l’économie s’accompagne de la pollution et des changements environnementaux. 

Musée d'Orsay: le procès de la militante écologiste 

qui a recouvert un tableau de Monet 

Ressource : AFP

Koenig se concentre toujours sur les idées et les visions des jeunes. Cela pourrait rapprocher les générations qui ont des opinions très opposées, mais cela peut probablement étiqueter les jeunes surtout par rapport à la politique d’identité de nos jours.

Pour ceux qui peuvent analyser le texte strictement, Koenig montre parfaitement la vision libérale de la société française et ses propositions avortées sur le papier. Il voit très bien où la société ne va pas et présente les impasses dans le roman. D’un point de vue herméneutique, si le texte n’en donne pas de solutions, c’est que l’auteur n’en ont pas en premier temps. Mais cette absence sert à une nouvelle production qu’est la jouissance narrative non seulement de l’auteur mais aussi des lecteurs qui s’en enivrent. Ils sont tous sur place, accompagnés du texte qui les enchante et qui, enfin, les condamne à rêvasser. 

Ainsi, Humus est devenu fertile et gluant, non ?